Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/265

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son dos, une grosse botte d’églantiers. Je le reconnus, malgré la nuit qui faisait de l’homme et de sa botte une seule masse d’ombre.

— Père Roubieux ! m’écriai-je.

— Ah ! c’est monsieur Paul ! fit le vieux homme… Monsieur Paul lui-même !… Je vous apporte vos églantiers, monsieur Paul, comme tous les ans… Ah ! dame ! ils sont beaux, beaux, beaux !… Je les ai choisis, pour vous, comme de juste.

Il avait franchi la grille ouverte, et déposé, à terre, son fardeau. Et malgré le vent glacial le bonhomme était en sueur. Il s’essuya le front du revers de sa manche :

— Y a du nouveau, à ce qu’on m’a dit… Paraît que vous êtes marié, monsieur Paul !… C’est bien ! C’est bien !… Et votre défunte mère serait joliment contente !… Moi aussi je suis content !… Fallait ça, voyez-vous, pour vous, pour la maison, pour le pays… Un homme sans femme, c’est comme un printemps sans soleil…

Pendant que le père Roubieux parlait, je songeais que je n’avais pas les vingt francs que je lui donnais tous les ans, quand il venait m’apporter ses églantiers. Les demander à Jeanne, c’eût été des questions, des reproches, une scène pénible que je ne voulais pas affronter.

— Je n’ai pas besoin d’églantiers, cette année,