Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/268

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

encore. Elle passa sans prononcer une parole. Le vieux ne l’avait même pas vue, occupé qu’il était à s’emplir le ventre, tout entier à son extase d’affamé devant la viande et le vin.

Je le reconduisis jusqu’à la grille.

— Et vos églantiers, père Roubieux ?

Il se sentait plus fort d’avoir mangé. Sans une plainte, il les rechargea sur son épaule, et, les calant d’un mouvement de reins sur son dos d’octogénaire, il dit même gaiement en me remerciant :

— J’arriverons pas de bonne heure à la maison, aujourd’hui… trois lieues de chemin ! Mais on est lesté. À l’année prochaine, monsieur Paul !…

Quand je retrouvai Jeanne, une heure plus tard, au dîner, elle me dit simplement :

— Ma maison n’est pas un repaire de vagabonds, et je vous serai obligée, à l’avenir, de recevoir vos amis ailleurs que chez moi.

VI

Je fis une longue et dangereuse maladie. La vie, refoulée au-dedans de moi-même, privée de ses expansions nécessaires, protesta violemment. Mes organes ne purent résister à ce manque d’air, de chaleur, de lumière, survenu