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Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/39

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Paris… Je ne venais guère chez moi que pour toucher mes fermages, et, lors de ces rares apparitions, Rosalie continuait de m’appeler : « Nout’ mait’e. » Voilà tout. Quatre années s’écoulèrent ainsi… Parfois il m’advint, me retrouvant en présence de l’étrange et si délicate beauté de ma femme, d’essayer d’évoquer l’image évanouie du colporteur. En vain. L’image était effacée, irrémédiablement ; le charme s’était enfui pour toujours… Ai-je dit « pour toujours » ? Oui… Cela ne fait rien… Écoutez, je vous prie, ce qui va suivre… Ma propriété est située à trois kilomètres d’Argentan, assez loin de la route, en pleine campagne… Je n’ai pas d’autres voisins que les gens de la ferme, séparée du château par un petit bois de hêtres… C’est très commode pour beaucoup de choses… Quelquefois, lorsque j’arrive, je préviens qu’on envoie une voiture me chercher à la gare ; souvent, je ne préviens pas, non que je répugne à déranger mes chevaux et mon monde, mais parce que, très souvent, le matin, à dix heures, j’ignore si je n’aurai point l’idée de partir à midi… D’ailleurs, je porte toujours sur moi une clé de la maison… C’était un mardi du mois d’août, à onze heures du soir, il y a de cela deux ans… J’avais pris par la traverse qui raccourcit de moitié la distance de la gare chez moi… Il faisait une nuit splendide, claire,