Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/192

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— Ah ! les nobles !… Je leur fais voir de quel bois je me chauffe !…

Le domaine s’étend sur quatre communes habitées par des bûcherons, terrassiers, ouvriers des champs qui ne vivent que des miettes parcimonieuses de cette vaste propriété : vies misérables… journées au rabais… ambulants chômages… spectres de fièvre et de famine que l’on voit, peu à peu, déserter les taudis du village et s’en aller vers des terres plus hospitalières et de moins dures servitudes… L’ombre qui, maintenant, s’allonge du château, plus loin, toujours plus loin, est mortelle aux hommes… Quand elle ne les tue pas, elle les chasse…

Un bois de huit cents hectares entoure, de ses profondes masses de verdure, le château remis à neuf d’après les plans de Porcellet, et selon la plus pure esthétique du onzième siècle… La loge du concierge figure une tour carrée, avec une plate-forme à créneaux, garnie d’échauguettes… Il semble que ces murs percés d’étroites meurtrières dissimulent des troupes d’arquebusiers… Heureusement la pierre en est trop neuve… Elle ne fait plus peur… Et le portier, au lieu d’être armuré de cuir fauve et casqué de fer, arbore un pacifique uniforme de garçon de banque, ce qui fait rire les passants comme d’un décor d’opérette… Mais le bois est