Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/193

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

admirable ; grasse et profonde, la terre, du moins, y est bonne aux arbres.

J’aurais bien voulu pénétrer dans le bois, marcher sous ces vastes avenues royales que l’on aperçoit de la route, et dont l’ombre ardente et douce me tentait. L’accès en est impossible. Des clôtures hargneuses le gardent ; des montants de fer, aux pointes aiguës, reliés par tout un hérissement de ronces artificielles le défendent mieux qu’un cordon de gendarmes. Je me rappelais qu’autrefois tout le monde pouvait se promener dans le bois et se rafraîchir aux sources qui, en maint endroit, jaillissent et bouillonnent. Le vieux marquis tolérait que les pauvres vinssent ramasser les branches mortes ; le dimanche, il permettait aux voisins et aux parents de faire des provisions de morilles, de noisettes, de châtaignes et de champignons. C’était un amusement et aussi une ressource qu’ils ne dédaignaient point… Ceux qui possédaient des vaches étaient autorisés à faucher les hautes fougères pour la litière de leurs bêtes… Il est vrai que le vieux marquis n’était pas socialiste et qu’il n’éprouvait pas, au dessert, le besoin de faire sauter les riches avec les bouchons de champagne !… Et voilà qu’aujourd’hui défense est faite à quiconque de pénétrer dans le bois, sous peine de procès et de coups de fusil… Les braconniers