Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/194

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eux-mêmes ne s’aventurent plus… car ils savent qu’au plus épais des fourrés, derrière les arbres géants, il y a toujours, en même temps que d’invisibles regards chargés de haine, une arme chargée de plomb braquée sur eux.

J’admirais comment Porcellet, au nom des idées modernes et des fraternités sociales, avait changé toutes ces vieilles coutumes, aboli toutes ces patriarcales libertés… Et, devant les meurtrières approches des clôtures, je me disais :

— Ah ! ce diable de Porcellet !… Voilà un brave homme !… Quel apôtre !… L’aime-t-il assez, ce peuple !… Les console-t-il assez, ces malheureux !… Et quelle belle chose vraiment que le socialisme !…

Il est probable que je me fusse longtemps encore attendri sur ce que je voyais autour de moi, quand tout à coup j’aperçus, débouchant d’une route transversale, l’ami Porcellet ! Porcellet lui-même qui, botté, harnaché en guerre, fusil à l’épaule, pistolet et coutelas à la ceinture, marchait pesamment, suivi de six gardes armés, lesquels étaient aussi suivis de six dogues énormes, portant des colliers à pointes de fer et montrant des gueules terribles. M’ayant reconnu, Porcellet, bruyant et joyeux, vint à moi :