Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/209

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capturé et à qui j’avais collé sur le crâne une menue crête joliment dentelée de laine rouge. Cette mort m’inspira mes premiers vers. Et ce qu’ils ont mouillé de beaux yeux de femmes !… Je me vois encore, au cimetière de notre village, fondant en larmes et criant comme un jeune putois blessé, une fois que j’accompagnais mes parents à l’enterrement d’une personne que je ne connaissais pas et qui ne m’était de rien. Et je vois aussi mon père, qui ne comprenait rien à ces larmes, me dire, en me secouant le bras :

— Es-tu bête !… Pourquoi pleures-tu ?

— Je ne sais pas !

— Mais, tu ne l’as jamais vu, le père Jumeau ?

— Non !

— Eh bien ! alors ?… c’est stupide de pleurer comme ça… Moi, c’est différent ! je pourrais pleurer, cela aurait un sens que je pleure. Non pas parce que le père Jumeau était un brave homme que j’aimais beaucoup, mais parce que c’était un fermier comme je n’en retrouverai jamais un. Je perds beaucoup, en perdant le père Jumeau. Cela me coûtera gros, cela est sûr. Et pourtant, je ne pleure pas, moi ! Allons, voyons, secoue-toi, nom d’un petit bonhomme ! Ris un peu ! ris donc, sacré mâtin ! …

Mes sanglots redoublant, il fallut m’emporter