Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/214

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ment avec toutes les données de la science moderne. C’est la nature qui, par moi, proteste contre la faiblesse, et, par conséquent, contre l’inutilité criminelle des êtres impuissants à se développer sous le soleil ! La nature n’a souci que de force, de santé et de beauté ! Pour l’œuvre de vie indestructible, elle veut une vigueur sans cesse accrue, des formes de plus en plus harmonieuses. Sans quoi, c’est la mort. Or, il m’est impossible de concevoir la mort de la matière. C’est pourquoi la nature tue impitoyablement tous les organismes inaptes à une vie harmonieuse et forte. Moi, je ne peux pas tuer ; du moins, il me semble que je ne pourrais pas tuer, à cause de ma sensibilité si exquise, qui fait que je m’évanouis à la vue du sang qui n’est pas du sang de vagabond ou de mendiant. Mais, si je ne peux pas tuer, je peux haïr, je dois haïr, haïr d’une haine si impérieuse les petits, les souffrants, les mal venus, les difformes, les éclopés, qu’ils ne puissent plus transmettre à d’autres, par la seule force isolatrice de ma haine, le germe de leurs tares, le principe de leur laideur… qu’ils ne puissent plus engendrer des parodies d’êtres à peine vivants, des déchets d’humanité. Et, non seulement la nature me pousse à agir ainsi, mais la société me l’ordonne. Je ne suis que l’instrument de ces deux puissances contraires et