Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/231

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mieux que les coins de terre féconde où poussent les fleurs, les fruits, l’espoir. Dieu m’est témoin que, pas une minute, l’idée ne m’était venue que je pusse me trouver, dans cette solitude, près de ce trou sans voix, qui ne rend pas le bruit des plaintes et le bruit des chutes, me trouver face à face avec le petit bossu… Et, chose singulière, comme si j’eusse voulu me procurer, par la suite, un alibi et des témoignages sauveurs, je pris, pour aller à la Fontaine-au-Grand-Pierre, par un long détour, par une route diamétralement opposée au but de ma promenade. Chose plus singulière encore, je rencontrai, en sortant du village, un ami, un compagnon de mes ivresses et de mes débauches. Et, voici les mots que nous échangeâmes :

Mon ami me dit :

— Où vas-tu ?

— Je vais aux Trois-Fétus, répondis-je… du moins, je vais sur la route des Trois-Fétus.

— C’est dommage que je ne puisse pas aller avec toi, me dit-il encore. Mais j’attends le boucher à qui je vends une vache. Nous aurions bu une bonne bouteille, au carrefour.

— C’est dommage, en effet, car, sans toi, je n’irai pas jusqu’au carrefour. J’irai dormir dans un champ, à l’ombre d’un arbre. Je me sens tout drôle.