Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/65

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impalpable et rayonnante de lune se montrer à lui, dans le champ sacré du Bocenno, rien n’est changé. Il semble même que la nouvelle basilique, sortie avec ses marbres lourds et ses insolentes dorures des flancs appauvris de cette contrée maudite, ait jeté autour d’elle plus d’ombre épaisse, plus de misère et plus de servitude.

Tout autour de la cathédrale, massive et sombre copie de la Renaissance, grouille une foule énorme de pèlerins, une foule silencieuse et triste, qui ondoie avec des mouvements lents de troupeaux parqués. Foule plus disciplinée que croyante, qui redoute le prêtre et tout l’inexorable appareil religieux plus qu’elle ne le respecte. Il s’élève d’elle, en même temps que les sourds murmures des respirations, et les rumeurs des piétinements, un bruit clair de chapelets déroulés, un bruit vague de prières marmottées. Dans le champ du Bocenno, cinq mille pèlerins sont agenouillés, le dos courbé sous la tempête sonore que soufflent du haut de la tour, les bourdons de la basilique ; sur les marches de la Sainte Chapelle « qu’on ne peut gravir qu’à genoux », s’entassent, s’empilent des êtres prostrés. Et, sans cesse, des prêtres en surplis, des moines en robe brune, des évêques, dont la mitre chancelle, passent, affairés, gesticulant, se traçant à coups de