Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/110

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imbécillisantes de l’École, Lirat était très discuté, — je me trompe, — très insulté. Il faut avouer aussi que sa conception de l’art, libre et hautaine, choquait toutes les conventions professées, toutes les idées reçues, et que, par leur puissante synthèse, d’une science prodigieuse qui cachait le métier, ses réalisations déroutaient les amateurs du joli, de la grâce quand même, de la correction glacée des ensembles académiques. Le retour de la peinture moderne vers le grand art gothique, voilà ce qu’on ne lui pardonnait pas. Il avait fait de l’homme d’aujourd’hui, dans sa hâte de jouir, un damné effroyable, au corps miné par les névroses, aux chairs suppliciées par les luxures, qui halète sans cesse sous la passion qui l’étreint et lui enfonce ses griffes dans la peau.

Félicien Rops, La Tentation de saint Antoine

En ces anatomies, aux postures vengeresses, aux monstrueuses apophyses, devinées sous le vêtement, il y avait un tel accent d’humanité, un tel lamento de volupté infernale, un emportement si tragique, que, devant elles, on se sentait secoué d’un frisson de terreur. Ce n’était plus l’Amour frisé, pommadé, enrubanné, qui s’en va pâmé, une rose au bec, par les beaux clairs de lune, racler sa guitare sous les balcons ; c’était l’Amour barbouillé de sang, ivre de fange, l’Amour aux fureurs onaniques, l’Amour maudit, qui colle sur l’homme sa gueule en forme de ventouse, et lui dessèche les veines, lui pompe les moelles, lui décharne les os. Et, pour donner à ses personnages une plus grande intensité d’horreur, pour faire peser sur eux