Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/127

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c’est la vie, et que je meurs de ne pouvoir plus aimer.

Mais la Vierge ne m’entendait plus. Elle glissa dans la chambre en faisant des révérences, grimpa sur les chaises, fureta dans les meubles, en chantant des airs étranges. Une capote de loutre remplaçait maintenant son nimbe doré, ses yeux étaient ceux de Juliette Roux, des yeux très beaux, très doux, qui me souriaient dans une face de plâtre, sous un voile de gaze fine. De temps en temps, elle s’approchait de mon lit, balançait au-dessus de moi son mouchoir brodé qui exhalait un parfum violent.

— Monsieur Mintié, disait-elle, je suis chez moi, tous les jours, de cinq à sept… Et je serai charmée de vous voir, charmée !

— Vierge, bonne Vierge, implorai-je de nouveau, parle-moi, je t’en prie, parle-moi comme autrefois dans la chapelle !

— Tu, tu, tu, tu ! chantonnait la Vierge, qui, faisant bouffer sa robe lilas, écartant, du bout de ses doigts effilés et chargés de bagues, son manteau constellé d’argent, se mit à tourner lentement, avec des mouvements de valse, la tête renversée sur les épaules.

— Bonne Vierge ! répétai-je d’une voix irritée, mais parle-moi donc !

Elle s’arrêta, se campa devant moi, fit tomber, un à un ses vêtements de plâtre, et, toute nue, impudique et superbe, la gorge secouée d’un rire clair, sonore, précipité :

— Monsieur Mintié, dit-elle, je suis chez moi, tous