Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/136

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— Monsieur attend peut-être quelqu’un ? me demanda le garçon.

Quelqu’un ? Mais non, je n’attendais personne. La porte du restaurant s’ouvrit, et, vivement, je me retournai. Je compris alors pourquoi il m’adressait cette question, le garçon… Chaque fois que la porte s’ouvrait, il m’arrivait de me retourner ainsi, avec hâte, et je dévisageais anxieusement les personnes qui entraient, comme si, en effet, je savais que quelqu’un devait venir, et que je l’attendais… Quelqu’un !… Et qui donc eus-je attendu ?

J’allais très rarement au théâtre ; il fallait, pour cela, une occasion, une obligation, un entraînement. Je crois bien que, de moi-même, jamais je n’eusse songé à y mettre les pieds… j’affectais même, pour la littérature qui se vend en ces déballages de médiocrité, un mépris souverain. Concevant le théâtre, non comme une distraction futile, mais comme un art grave, il me répugnait d’y voir, dans un mécanisme de scènes toujours pareilles, la passion humaine rossignolant la même romance sentimentale, la gaîté dégringolant, salie de fard, au fond de la même basse pitrerie. Un fabricant de pièces, si applaudi fût-il, me faisait l’effet d’un dévoyé ; il était au poète ce que le défroqué est au prêtre, le déserteur au soldat. Et j’avais souvent, dans la mémoire, un mot de Lirat, d’une concision formidable, d’un jugement profond. Nous avions été aux obsèques du grand peintre M… ; D…, l’auteur dramatique célèbre, conduisait le deuil.