Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/152

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mant, tout rempli d’aperçus originaux sur l’art et sur la littérature, sans outrance, sans paradoxes. Il avait retrouvé sa verve saine, comme aux meilleurs jours de sa vie. À plusieurs reprises, j’eus l’idée de lui avouer que j’avais été voir Juliette… Une sorte de honte me retint, je n’osai pas.

— Travaillez, travaillez, mon petit Mintié, me dit-il, en nous quittant… Produire, toujours produire… tirer, de ses mains ou de son cerveau, n’importe quoi… ne fût-ce qu’une paire de bottes… il n’y a encore que ça, allez !…

Six jours après, j’étais retourné chez Juliette, et j’avais pris l’habitude d’y venir, régulièrement, passer une heure, avant mon dîner. L’impression désagréable, ressentie lors de ma première visite, s’était effacée. Peu à peu, et sans que je m’en doutasse, je m’étais si bien accoutumé aux tentures rouges du salon, à l’Amour en terre cuite, aux bavardages enfantins de Juliette, à Spy même, qui était devenu mon ami, que, lorsque j’avais passé une journée sans les voir, il me semblait qu’un grand vide se creusait, cette journée-là, dans ma vie… Non seulement, les choses qui m’avaient tant choqué ne me choquaient plus, elles m’attendrissaient au contraire, et, chaque fois que Juliette conversait avec son chien, ou prenait de lui des soins exagérés, cela m’était véritablement une douceur, et comme une affirmation répétée de la naïveté et des qualités aimantes de son cœur. Je finis par parler, moi aussi, ce langage de chien…