Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/157

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C’étaient les seuls mots d’amour qui nous échappassent…

À quelque temps de là, Juliette donnait un grand dîner pour célébrer la fête de Charles. Pendant toute la soirée, elle se montra nerveuse, agacée. À Charles, qui lui adressa une observation timide, elle répondit durement, d’un ton bref que je ne lui connaissais pas. Il était deux heures du matin, quand tout le monde prit congé. J’étais demeuré seul, dans le salon. Près de la porte, Malterre me tournait le dos, causant avec Jesselin qui passait sa pelisse dans l’antichambre. Et je vis Juliette, accoudée au piano, qui me regardait fixement. Un éclair de passion farouche traversait ses yeux devenus graves tout à coup, presque terribles, les barrait comme d’une flamme nouvelle. Le pli de son front s’accentuait, sa narine battante et gonflée frémissait ; je ne sais quoi d’impudique errait sur ses lèvres. Je m’élançai. Et mes genoux cherchant ses genoux, mon ventre se collant à son ventre, ma bouche sur sa bouche, je l’enlaçai d’une étreinte furieuse.

Elle s’abandonna, et d’une voix très basse, étranglée :

— Viens demain ! dit-elle.