Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/185

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bien dû me prévenir que tu voulais m’enterrer vivante… J’aurais vu ce que j’avais à faire…

Elle se leva… Je ne pensai point à lui dire que c’était elle, au contraire, qui avait désiré cette existence à deux, comprenant que ce serait aggraver la discussion inutilement. Je lui pris la main.

— Juliette ! suppliai-je.

— Eh bien, quoi ?

— Tu es fâchée ?

— Moi ? au contraire, je suis très contente…

— Juliette !

— Allons, laisse-moi… finis… tu me fais mal.

Juliette me bouda toute la journée ; lorsque je lui adressais la parole, elle ne me répondait pas, ou se contentait d’articuler, d’une voix brève, des monosyllabes irritants. J’étais malheureux et colère ; j’eusse voulu l’embrasser et la battre, la couvrir de baisers et de coups de poings. Au dîner, elle conserva une dignité de femme offensée, les lèvres pincées, du dédain plein les yeux. En vain, je tentai de l’attendrir par des allures humbles, des regards repentants et douloureux ; son masque demeurait impitoyable, son front avait toujours cette barre d’ombre qui m’inquiétait. Le soir, couchée, elle prit un livre et me tourna le dos. Et sa nuque, sa nuque parfumée où mes lèvres aimaient à se pâmer, sa nuque me paraissait plus obstinée qu’un mur de pierre… De sourdes impatiences s’agitaient en moi, et je m’efforçais de les dompter. À mesure que la colère m’envahissait, ma voix cherchait