Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/201

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monte les bêtes des autres. Chargé de dire, partout où il va : « Ah ! quelle femme charmante !… Ah ! quelle admirable bête ! » Il reçoit, en échange de ces services, quelques louis avec lesquels il paie son valet de chambre.

« Encore un grand nom, peu à peu et irrémédiablement tombé dans la pourriture des métiers abjects et des proxénétismes cachés. Celui-ci fut brillant, autrefois ; il garde encore, malgré l’embonpoint qui est venu, malgré la bouffissure des chairs, une allure élégante, et un parfum de bonne compagnie. Dans les mauvais lieux et les sociétés bizarres où il opère, il joue le rôle rétribué que jouaient, il y a cinquante ans, les majors dans les tables d’hôte. Sa politesse et son éducation lui sont un capital qu’il exploite en perfection. Il sait tirer parti du déshonneur des autres, aussi habilement que du sien, car nul, mieux que lui, ne s’entend à mettre ses malheurs conjugaux en coupe réglée.

« Ce visage livide, encadré de favoris grisonnants, cette lèvre mince, cet œil éteint ?… On ne savait pas !… Longtemps des bruits sinistres avaient couru sur ce personnage, des histoires de sang… D’abord, on eut peur et on s’éloigna… Un vieux souvenir, après tout !… D’ailleurs, il dépensait beaucoup d’argent… Qu’importe quelques gouttes rouges qui roulent sur des piles d’or !… Les femmes en étaient folles…

« Ce jeune homme si joli, à la moustache si galamment retroussée ?… Un jour, n’ayant plus le sou, et sa