Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/200

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des maisons de jeu, des parts dans des écuries de courses, du crédit chez les agents de change, des chevaux et un hôtel où il recevait. Il prêtait secrètement de l’argent, à cent pour cent, à des demoiselles dans l’embarras et dont il avait, au préalable, expertisé les talents et la rouerie. Généreux à ses heures, avec esclandre ; achetant des tableaux très chers, il passait pour un homme honorable et un protecteur des arts. Dans les journaux, on citait son nom, dévotieusement.

« Et cet autre, énorme, joufflu, dont le visage gras et plissé est éternellement fendu d’un rire d’idiot ?… Un enfant !… Dix-huit ans, à peine. Il a une maîtresse retentissante, avec laquelle il se montre au Bois, le lundi, et un professeur-abbé qu’il conduit au lac, le mardi, dans la même voiture. Sa mère a ainsi compris l’éducation de ce fils, voulant qu’il menât de front les saintes croyances et les galantes aventures. Au demeurant, ivre tous les soirs, et cravachant sa vieille folle de mère. « Un vrai type ! » résumait Jesselin.

« Un duc, celui-là, un duc porteur d’un grand nom de France !… Ah ! le joli duc ! Le roi des pique-assiettes ! Il entre timidement, comme un chien peureux, regarde à travers son monocle, flaire un souper, s’installe et dévore du jambon et du pâté de foie gras. Il n’a peut-être pas dîné, le duc ; il est sans doute revenu bredouille de ses quotidiennes tournées au café Anglais, à la Maison Dorée, chez Bignon, en quête d’un ami et d’un menu. Très bien avec les petites dames et les marchands de chevaux, il fait les commissions des unes,