Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/222

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sort ; j’ai reconnu le chapeau, la voilette, la robe.

— Juliette !

En me voyant, elle pousse un cri… Mais elle se remet vite… Ses yeux me bravent :

— Laisse-moi, crie-t-elle… que fais-tu là ?… Laisse-moi !

Je lui broie les poignets, et d’une voix qui s’étrangle, qui râle :

— Écoute-moi… Si tu fais un pas, si tu dis un mot… je te renverse sur le trottoir et je t’écrase la tête sous le talon de mes souliers.

— Laisse-moi !

Lourdement, je plaque une main sur son visage, et de mes ongles, furieux, je laboure son front, ses joues, d’où le sang jaillit.

— Jean ! oh ! Jean !… Pitié, je t’en prie !… Jean, grâce ! grâce !… Sois bon !… Tu me tues…

Je la conduis brutalement vers la voiture… et nous rentrons… Pliée en deux, elle est là, près de moi, qui sanglote… Que vais-je faire ?… Je n’en sais rien… En vérité, je n’en sais rien… Je ne me demande rien, je ne pense à rien… Il me semble qu’une montagne de rochers s’est abattue sur moi… J’ai cette sensation de blocs lourds sous lesquels mon crâne s’est aplati, ma chair s’est écrasée… Pourquoi, dans le noir où je suis, pourquoi ces murs hauts et blafards fuient-ils dans le ciel ? Pourquoi des oiseaux sombres volent-ils dans des clartés subites ?… Pourquoi une chose, affaissée près de moi, pleure-t-elle ?… Pourquoi ? Je l’ignore…