Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/226

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Elle était triste, elle pleurait… Je n’ai pas rêvé… elle pleurait… puisque ses larmes ont mouillé ma joue !… Pleurait-elle sur moi, sur elle ?… Ah ! qui sait ?… Je me souviens… Je lui disais : « Ne sors pas, ma Juliette ! »… Elle me répondait : « Embrasse-moi fort, bien fort, plus fort ! »… Et ses baisers avaient une étreinte plus douloureuse, une crispation, une peur, comme si elle eût voulu s’accrocher à moi ; chercher, tremblante, une protection dans mes bras… Je revois ses yeux, ses yeux suppliants… Ils m’imploraient : « Quelque chose d’infernal me pousse… Retiens-moi… Je suis sur ton cœur… Ne me laisse pas partir ? »… Et, au lieu de la prendre, de l’emporter, de la cacher, de la tant aimer qu’elle en fût étourdie de bonheur, j’ai ouvert les bras et elle est partie !… Elle se réfugiait en mon amour, et mon amour l’a rejetée… Elle m’a crié : « Je t’adore, je t’adore ! »… Et je suis resté là, bête, aussi étonné que l’enfant à qui l’oiseau captif vient d’échapper, dans un bruit d’ailes imprévu… À cette tristesse, à ces larmes, à ces baisers, à ces paroles plus tendres, à ces frissonnements, je n’ai rien compris… Et c’est maintenant, seulement, que je l’entends, ce langage muet et si mélancolique : « Mon cher Jean, je suis une pauvre petite femme, un peu folle, et si faible !… Je n’ai pas la notion de grand-chose… Qui donc m’eût appris ce que c’est que la pudeur, le devoir, la vertu !… Tout enfant, le spectacle du vice m’a salie, et le mal m’a été révélé par ceux-là mêmes qui avaient charge de veiller sur moi… Je ne