Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/228

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même qui m’as précipitée… Quels exemples m’as-tu mis sous les yeux ?… Où donc m’as-tu conduite ?… M’as-tu, un jour, arrachée à ce milieu inquiétant de la débauche ?… Pourquoi n’as-tu pas chassé de chez nous Jesselin, Gabrielle, tous ces êtres dépravés, dont la présence était un encouragement à mes folies ?… Me souffler un peu de ton âme, faire pénétrer un peu de lumière dans la nuit de mon cerveau, voilà ce qu’il fallait !… Oui, il fallait me redonner la vie, me créer une seconde fois !… Je suis coupable, mon Jean !… Et j’ai tant de honte que je n’espère pas, par toute une existence de sacrifice et de repentir, racheter l’infamie de cette heure maudite… Mais toi !… As-tu bien la conscience d’avoir rempli ton devoir ? Je ne redoute pas l’expiation… Je l’appelle au contraire, je la veux… Mais toi ?… Peux-tu t’ériger en justicier d’un crime qui est mien, oui, et qui est tien aussi, puisque tu n’as pas su l’empêcher !… Mon cher amour, écoute-moi… Ce corps que j’ai tenté de souiller, il te fait horreur ; tu ne pourrais le voir, désormais, sans colère et sans déchirement… Eh bien, qu’il disparaisse !… Qu’il s’en aille pourrir dans l’oubli d’un cimetière !… Mon âme te restera, elle t’appartient, car elle ne t’a pas quitté, car elle t’aime… Vois, elle est toute blanche… » Un couteau brille dans les mains de Juliette… Elle va se frapper… Alors, je tends les bras, je crie : « Non, non, Juliette, non je ne veux pas… Je t’aime !… Non, non, je ne veux pas ! »… Mes bras se referment et je n’étreins que l’espace… Je regarde,