Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/242

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faut… Vous marcherez à travers les grèves, les landes, les bois de pin, les rochers ; vous bêcherez la terre, vous pêcherez le goémon, vous soulèverez des blocs, vous gueulerez dans le vent… Enfin, mon ami, vous dompterez ce corps, empoisonné, affolé par l’amour… Dans les commencements, cela vous sera pénible, et vous éprouverez, peut-être, des nostalgies, des révoltes, vous aurez des envies furieuses de retour… Ne vous rebutez pas, je vous en supplie… Aux jours pesants, marchez davantage… passez des nuits en mer avec les braves gens de là-bas… Et, si vous avez le cœur gros, pleurez, pleurez… Surtout, pas de mollesse, pas de songeries, pas de lectures, pas de nom écrit sur les rocs et tracé sur le sable… Ne pensez pas, ne pensez à rien !… En ces occasions-là, la littérature et l’art sont de mauvais conseillers, ils auraient vite fait de vous ramener à l’amour… Une activité incessante des membres, des besognes de charretier, la chair brisée par l’écrasement des fatigues, le cerveau fouetté, étourdi par le vent, par la pluie, par les rafales… Je vous le dis, vous reviendrez de là, non seulement guéri, mais plus fort que jamais, mieux armé pour la lutte… Et vous aurez payé votre dette au monstre… Vous l’aurez payée de votre fortune ?… Qu’est-ce que c’est, cela ?… Ah ! tenez, je vous envie, et je voudrais bien aller avec vous… Allons, mon cher Mintié, un peu de courage !… Venez !

— Oui, Lirat, vous avez raison… il faut que je parte…