Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/260

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charmé… À mesure qu’elle s’éloignait, je m’attendrissais… Pourquoi ne l’avais-je pas connue plus tôt, avant l’autre ?… Je l’aurais aimée peut-être !… Une jeune fille qui, jamais, n’a senti souffler sur elle l’haleine empestée des hommes, dont les oreilles sont chastes, dont les lèvres ignorent les sales baisers ; que ce serait délicieux de l’aimer, de l’aimer ainsi qu’aiment les anges !… Le voile blanc battait au-dessus d’elle, semblable aux ailes d’une mouette… Et tout à coup, derrière le phare, elle disparut… Au bas de la jetée, la mer remuait, comme un berceau d’enfant, qu’une nourrice, en chantant, bercerait, et le ciel était sans nuage ; il s’épandait sur la surface immobile des flots, pareil à un grand voile traînant de mousseline claire… La jeune fille ne tarda pas à revenir, passa si près de moi que sa robe me frôla presque. Elle était blonde ; je l’eusse préférée brune, comme était Juliette… Elle s’éloigna, quitta la jetée, prit le chemin du village, et, bientôt, je ne vis plus que le voile blanc qui me disait : « Adieu, adieu ! ne sois plus triste, je reviendrai. »

Le soir, je m’informai auprès de la mère Le Gannec.

— C’est la demoiselle de Landudec, me répondit-elle… Une bien brave enfant, et bien méritante, nostre Mintié. Le vieux monsieur, c’est son père… Ils habitent ce grand château sur la route de Saint-Jean… Vous savez, vous y avez été bien des fois…

— Comment se fait-il que je ne les aie jamais vus ?

— Ah ! Jésus !… C’est que le père est toujours malade, et que la demoiselle reste à le soigner, la