Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/263

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La messe était finie, la vision s’évanouit… Il se fit, dans l’église, un grand bruit de chaises remuées et de pas lourds, et les enfants de chœur éteignirent les cierges de l’autel… Toujours agenouillée, la jeune fille priait. De son visage, je ne distinguais qu’un profil perdu dans l’ombre douce de la voilette blanche… Elle se leva, après s’être signée… Je dus écarter ma chaise pour la laisser passer… Elle passa… Et j’éprouvai une véritable satisfaction, comme si, en refusant l’amour que la jeune fille m’offrait en rêve, je venais d’accomplir un grand devoir.

Elle m’occupa une semaine. J’avais recommencé mes courses acharnées, dans les landes, sur les grèves, et je voulais guérir. Pendant que je marchais, excité par le vent, emporté dans cette ivresse particulière que vous donne la pluie fouettante des rivages, j’imaginais des conversations romanesques avec la demoiselle de Landudec, des aventures nocturnes qui se déroulaient en des paysages féeriques et lunaires. Tous deux, comme des personnages d’opéra, nous luttions de pensées sublimes, de sacrifices héroïques, de dévouements prodigieux ; nous reculions, sur des rythmes passionnés et des ritournelles émouvantes, les bornes de l’abnégation humaine. Un orchestre sanglotant se mêlait au déchirement de nos voix.

— Je t’aime ! je t’aime !

— Non ! non ! il ne faut pas m’aimer !

Elle, en robe blanche très longue, les yeux égarés, les bras tendus… Moi, sombre, fatal, les mollets hou-