Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/265

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veau hanté de folies sombres, les bras et les mains en quelque sorte poussés par des rages de tuer, d’étouffer… J’aurais voulu sentir, sous la pression de mes doigts, des existences se tordre, râler et mourir. La mère Le Gannec était sur le pas de la porte, inquiète, tricotant son éternelle paire de bas… Elle me dit :

— Comme vous êtes en retard, nostre Mintié, aujourd’hui !… Je vous ai préparé une belle écrevisse de mer !

— Fichez-moi la paix, vieille radoteuse ! criai-je… Je n’en veux pas de votre écrevisse de mer, je ne veux rien, entendez-vous ?

Et bredouillant des paroles colères, brutalement, je l’obligeai à se déranger, pour me laisser passer… La pauvre bonne femme, stupéfaite, levait les bras au ciel, geignait :

— Ah ! ma Doué ! Ah bé Jésus !

Je gagnai ma chambre où je m’enfermai… D’abord, je me roulai sur le lit, brisai deux chaises, me cognai le front contre les murs, et, tout d’un coup, je me mis à écrire à Juliette une lettre exaltée, folle, remplie de menaces terribles et d’humbles supplications ; une lettre dans laquelle, en phrases incohérentes, je parlais de la tuer, de lui pardonner, je la suppliais de venir, avant que je ne mourusse, lui décrivant, avec des raffinements tragiques, un rocher d’où je me jetterais dans la mer… Je la comparais à la dernière des filles de maison publique, deux lignes plus loin, à la Sainte