Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/266

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Vierge. Plus de vingt fois, je recommençai la lettre, m’emportant, pleurant, tour à tour furieux jusqu’au délire, attendri jusqu’à la pâmoison… À un moment, j’entendis un bruit derrière la porte, comme un grattement de souris. J’allai ouvrir… La mère Le Gannec était là, tremblante, toute pâle, et qui me regardait de ses bons yeux effarés.

— Que faites-vous ici ? m’écriai-je… Pourquoi m’espionnez-vous ?… Allez-vous-en !

— Nostre Mintié, gémit la sainte femme, nostre Mintié, ne vous fâchez pas !… Je vois bien que vous êtes malheureux, et je venais voir si je pouvais vous être utile à quelque chose.

— Eh bien, oui, je suis malheureux, là !… Est-ce que cela vous regarde ? Tenez, portez cette lettre à la poste, et laissez-moi tranquille.

Pendant quatre jours, je ne sortis pas… La mère Le Gannec venait dans ma chambre, pour faire mon lit et servir mes repas, humble, craintive, redoublant de soins, soupirant :

— Ah ! quel malheur !… Ma Doué ! quel malheur !

Je comprenais que j’avais mal agi envers elle, qui était si tendre pour moi, et j’aurais voulu lui demander pardon de mes brutalités… Sa coiffe blanche, son châle noir, sa figure triste de vieille mère affligée, m’attendrissaient. Mais une sorte de fierté imbécile glaçait l’effusion prête à s’échapper… Elle trottinait autour de moi, résignée, avec un air d’infinie, de maternelle commisération, et, de temps en temps, elle répétait :