Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/269

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ture… Machinalement, je regardai… Une voiture, en effet, montait la rampe très raide à cet endroit, une sorte d’omnibus qui me parut haut, et chargé de malles… Un marin passait… Le postillon l’interpella :

— Hé ! la maison de Mme Le Gannec, s’il vous plaît ?

— C’est là, en face toi, répondit le marin, qui indiqua la maison d’un geste de la main et continua sa route.

J’étais devenu tout pâle… et je vis, éclairée par la lumière de la lanterne, une petite main gantée se poser sur le bouton de la portière.

— Juliette ! Juliette ! criai-je, éperdu… mère Le Gannec, c’est Juliette !… vite, vite… c’est Juliette !

Courant, dégringolant l’escalier, je me précipitai dans la rue.

— Juliette ! ma Juliette !

Des bras m’enlacèrent, des lèvres se collèrent à ma joue, une voix soupira :

— Jean ! mon petit Jean !

Et je défaillis dans les bras de Juliette.

Je ne tardai pas à revenir de mon évanouissement. On m’avait couché sur le lit, et Juliette, penchée sur moi, m’embrassait, m’appelait, pleurait :

— Ah ! pauvre mignon !… Comme tu m’as fait peur !… Comme tu es blanc encore !… C’est fini, dis !… Parle-moi, mon Jean !

Sans rien dire, je la contemplais… Il me semblait que tout mon être, inerte et glacé, détruit d’un coup, par une grande souffrance ou par un grand bonheur, — je ne savais, — refoulait dans mon regard la vie qui