Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/270

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s’en allait, s’égouttait de mes membres, de mes veines, de mon cœur, de mon cerveau… Je la contemplais !… Elle était toujours belle, un peu plus pâle encore qu’autrefois, et je la retrouvais toute, avec ses yeux brillants et doux, sa bouche aimante, sa voix délicieusement enfantine, au timbre clair… Je cherchais sur son visage, dans ses gestes, dans l’habitude de son corps, dans ses paroles, je cherchais des traces douloureuses de son existence inconnue, une flétrissure, une déformation, quelque chose de nouveau et de plus fané !… Non, en vérité, elle était un peu plus pâle, et voilà tout… Et je fondis en larmes…

— Encore, que je te voie, ma petite Juliette !

Elle buvait mes larmes, pleurait aussi, me tenait embrassé.

— Mon Jean !… Ah ! mon Jean adoré !

La mère Le Gannec vint frapper à la porte de la chambre… Elle ne s’adressa pas à Juliette, affecta même de ne pas la regarder.

— Qu’est-ce qu’il faut faire des malles, nostre Mintié ? demanda-t-elle.

— Il faut les faire monter, mère Le Gannec !

— On ne peut pas monter toutes ces malles ici, répliqua durement la vieille femme.

— Tu en as donc beaucoup, ma chérie ?

— Beaucoup, mais non !… il y en a six… Ces gens sont stupides !

— Eh bien, mère Le Gannec, dis-je, gardez-les en bas, pour ce soir… Nous verrons demain…