Aller au contenu

Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/280

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une nuit, la gorge en feu, le cerveau affolé par des visions abominables, je m’engage dans les ruelles tortueuses du village, frappe à la porte d’une fille à matelots… Et je suis entré dans ce bouge… Mais sitôt que j’ai senti sur ma peau cette peau inconnue, j’ai poussé un cri de rage… et j’ai voulu partir… Elle me retenait.

— Laisse-moi ! ai-je crié.

— Pourquoi t’en vas-tu ?

— Laisse-moi.

— Reste… Je t’aimerai… Sur la côte, souvent, je t’ai suivi… Souvent, près de la maison que tu habites, j’ai rôdé… Je voulais de toi… Reste !

— Mais laisse-moi donc ! Tu ne vois pas que tu me dégoûtes !…

Et comme elle se penchait à mon cou, je l’ai battue… Elle gémissait :

— Ah ! ma Doué ! il est fou !

Fou !… Oui, je suis fou !… Je me suis regardé dans la glace et j’ai eu peur de moi… Mes yeux agrandis s’effarent au fond de l’orbite qui se creuse ; les os pointent, trouant ma peau jaunie ; ma bouche est pâle, tremblante, elle pend, pareille à celle des vieillards lubriques… Mes gestes s’égarent, et mes doigts, sans cesse agités de secousses nerveuses, craquent, cherchant des proies, dans le vide…

Fou !… Oui, je suis fou !… Lorsque la mère Le Gannec tourne autour de moi, lorsque j’entends glisser ses chaussons sur le plancher, lorsque sa robe me