Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/288

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Je reçus au cœur un coup si douloureux que je faillis tomber sur le plancher ; et un flot de larmes m’aveugla. Pourtant, j’eus le courage de demander :

— Qu’est-ce qu’il vaut, ton nécessaire ?

— Deux mille francs, mon chéri.

— C’est bien !… Prends deux mille francs… Tu l’achèteras toi-même.

Juliette me baisa au front, prit deux billets qu’elle enfouit précipitamment dans la poche de son manteau, et son regard attaché sur les deux qui restaient et qu’elle regrettait sans doute de ne pas m’avoir demandés, elle dit :

— Vrai ?… Tu veux bien ?… Ah ! c’est gentil !… Cela fait que si tu retournes au Ploc’h, j’irai te voir avec mon nécessaire tout neuf.

Quand elle fut partie, je m’abandonnai à une violente colère contre elle, contre moi surtout, et, la colère apaisée, tout d’un coup, je m’étonnai de ne plus souffrir… Oui, en vérité, je respirais plus librement, j’étendais les bras avec des gestes forts, j’avais dans les jarrets une élasticité nouvelle ; enfin, on eût dit que quelqu’un venait de m’enlever le poids écrasant que je portais depuis si longtemps sur les épaules… J’éprouvais une joie très vive à détendre mes membres, à faire jouer mes articulations, à étirer mes nerfs, ainsi qu’il arrive, le matin, au saut du lit… Ne me réveillais-je pas, en effet, d’un sommeil aussi pesant que la mort ? Ne sortais-je pas d’une sorte de catalepsie, où tout mon être engourdi avait connu les cauchemars horribles du