Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/302

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ma chambre, des belettes se poursuivaient, bondissaient, se livraient à des jeux obscènes… Et j’espérai que la fièvre m’abattrait, me coucherait dans mon lit, m’emporterait… Être malade !… Oh ! oui, être malade, longtemps, toujours !… Juliette s’installait près de moi, elle me veillait, me soulevait la tête pour me faire boire des remèdes, elle reconduisait le médecin en disant des choses à voix basse ; et le médecin avait un air grave :

— Mais non ! mais non ! Madame, tout n’est pas désespéré… Calmez-vous.

— Ah ! docteur, sauvez-le, sauvez mon Jean !

— C’est vous seule qui pouvez le sauver, puisque c’est de vous qu’il meurt !

— Ah ! que puis-je faire ?… Dites, docteur, dites !

— Il faut l’aimer, être bonne…

Et Juliette se jetait dans les bras du médecin…

— Non ! C’est toi que j’aime… viens !

Elle l’entraînait, pendue à ses lèvres… et, dans la chambre, ils cabriolaient, sautaient au plafond et retombaient sur mon lit, enlacés.

— Meurs, mon Jean, meurs, je t’en prie !… Ah ! pourquoi tardes-tu tant à mourir ?…

Je m’étais assoupi… Quand je me réveillai, il faisait grand jour… Les omnibus, de nouveau, roulaient dans la rue ; les marchands ambulants glapissaient leurs ritournelles matinales ; contre ma porte, dans le couloir où des gens marchaient, j’entendais le grattement d’un balai.