Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/320

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encore, ou pour commettre un crime… J’espérais que Juliette rentrerait seule… Alors, j’irais à elle, je l’attendrirais… Je craignais aussi de la voir avec un homme… Alors, je la tuerais peut-être… Je ne préméditais rien… J’étais venu, voilà tout !… Pour la mieux surprendre, je me dissimulai dans l’angle de la porte de la maison voisine de la sienne.

De là, je pourrais tout observer, sans être aperçu, s’il me convenait de ne pas me montrer… L’attente ne fut pas longue. Un fiacre, débouchant du faubourg Saint-Honoré, s’engagea dans la rue de Balzac, obliqua de mon côté et, rasant le trottoir, il s’arrêta devant la maison de Juliette !… Je haletais… Tout mon corps tremblait, secoué par un frisson… Juliette descendit d’abord… Je la reconnus… Elle traversa le trottoir en courant, et je l’entendis qui tirait le bouton de la sonnette… Puis un homme descendit à son tour, il me sembla que je reconnaissais cet homme aussi… Il s’était approché de la lanterne, fouillait dans son porte-monnaie, en retirait des pièces d’argent, maladroitement, qu’il examinait à la lumière, le coude levé… Et son ombre, sur le sol, s’étalait anguleuse et bête !… Je voulus me précipiter… Une lourdeur me retenait cloué à ma place… Je voulus crier… Le son s’étrangla dans ma gorge… En même temps, un froid me monta du cœur au cerveau… J’eus la sensation que la vie m’abandonnait… Je fis un effort surhumain, et, chancelant, je m’avançai vers l’homme… La porte s’était ouverte et Juliette avait disparu, en disant :