Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Allons !… Venez-vous ?

L’homme fouillait toujours dans son porte-monnaie…

C’était Lirat !… Les maisons, le ciel me seraient tombés sur la tête, que je n’aurais pas été plus stupéfait !… Lirat rentrant avec Juliette !… Cela ne se pouvait pas !… J’étais fou… J’avançai encore.

— Lirat !… criai-je, Lirat !…

Il avait fini de payer le cocher et me regardait terrifié !… Immobile, la bouche béante, les jambes écartées, il me regardait, sans mot dire…

— Lirat !… Est-ce vous ?… Ce n’est pas possible… Ce n’est pas vous, n’est-ce pas ?… Vous ressemblez à Lirat, mais vous n’êtes pas Lirat !…

Lirat se taisait…

— Voyons, Lirat !… Vous ne ferez pas cela… ou alors je dirai que vous m’avez envoyé au Ploc’h pour me voler Juliette !… Vous, ici, avec elle !… Mais c’est de la folie !… Lirat ! rappelez-vous ce que vous m’avez dit d’elle… rappelez-vous les belles choses dont vous aviez nourri mon esprit… les belles choses que vous aviez mises dans mon cœur !… Cette misérable fille !… C’est bon pour moi, qui suis perdu… Mais vous !… Vous êtes généreux, vous êtes un grand artiste !… Est-ce pour vous venger de moi ?… Un homme comme vous ne se venge pas de la sorte… Il ne se salit pas !… Si je n’ai pas été vous voir, Lirat, c’était parce que je n’osais pas, pour ne pas encourir votre colère !… Voyons, parlez-moi, Lirat… Répondez-moi !…