Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/323

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las, cheminait… L’homme ne cessait de contempler les belles moissons qui mûrissaient au soleil, les grands prés que les troupeaux réjouis paissaient, le mufle enfoui dans l’herbe… Les pommiers tendaient vers lui leurs branches chargées de fruits pourprés, et les sources chantaient au fond de leurs niches moussues… Il s’assit sur la berge, fleurie à cet endroit de petites fleurs parfumées, et délicieusement il écouta la musique divine des choses… De toutes parts, des voix qui montaient de la terre, des voix qui tombaient du ciel, des voix très douces, murmuraient : « Viens à nous, toi qui as souffert, toi qui as péché… Nous sommes les consolatrices qui rendons aux pauvres gens le repos de la vie et la paix de la conscience… Viens à nous, toi qui veux vivre ! »… Et l’homme, les bras au ciel, supplia : « Oui, je veux vivre !… Que faut-il que je fasse pour ne plus souffrir ? Que faut-il que je fasse pour ne plus pécher ? » Les arbres s’agitèrent, les blés froissèrent leurs chaumes : un bruissement sortit de chaque brin d’herbe ; les fleurettes balancèrent, au bout de leurs tiges, leurs corolles menues, et de toutes les choses une voix unique s’éleva : « Nous aimer ! » dit la voix… L’homme reprit sa route… Autour de lui les oiseaux tourbillonnaient…

Le lendemain, j’achetai un vêtement d’ouvrier…

— Alors, Monsieur s’en va ?… me dit le garçon de l’hôtel, à qui je venais de donner mes vieilles hardes.

— Oui, mon ami !

— Et où Monsieur s’en va-t-il ?