Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/322

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Lirat se taisait. Juliette dans le corridor, l’appelait :

— Allons, venez-vous ?…

Je saisis les mains de Lirat.

— Tenez, Lirat… elle se moque de vous… Vous ne comprenez donc pas ?… Un jour, elle m’a dit : « Je me vengerai de Lirat, de ses mépris, de ses rigueurs hautaines… et ce sera farce ! » Elle se venge… vous allez entrer chez elle, n’est-ce pas ?… et demain, ce soir, tout à l’heure, elle vous chassera honteusement !… Oui, c’est cela qu’elle veut, je vous le jure !… Ah ! je me rends compte !… Elle vous a poursuivi… Si bête, si effroyablement stupide, si lointaine de vous qu’elle soit… elle vous a affolé… Elle a le génie du mal, et vous, vous êtes un chaste !… Elle a versé le poison dans vos veines… Mais vous êtes fort !… Après ce qui s’est passé entre nous, vous ne pouvez pas !… Ou vous êtes un mauvais homme, ou vous êtes un sale cochon, vous que j’admire !… Un sale cochon, vous !… Allons donc.

Lirat brusquement se dégagea de mon étreinte, et m’écartant de ses deux poings crispés :

— Eh bien, oui ! s’écria-t-il, je suis un sale cochon !… Laissez-moi !

Il se fit un bruit sourd qui résonna dans la nuit comme un coup de tonnerre… C’était la porte qui se refermait sur Lirat… Les maisons, le ciel, les lumières de la rue, tournèrent, tournèrent… Et je ne vis plus rien. J’étendis les bras en avant, et je m’abattis sur le trottoir… Alors, au milieu des champs apaisés, j’aperçus une route, toute blanche, sur laquelle un homme bien