Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/39

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savait comment y répondre et s’en tirait ainsi : « Tu es trop petit pour que je t’explique ça ! Quand tu seras plus grand. » Et, tout chétif, à côté du gros corps de mon père qui oscillait suivant les cahots du chemin, je me rencognais au fond du cabriolet, tandis que mon père tuait, avec le manche de son fouet, les taons qui s’abattaient sur la croupe de notre jument. Et il disait chaque fois : « Jamais je n’ai vu autant de ces vilaines bêtes, nous aurons de l’orage, c’est sûr. »


Dans l’église de Saint-Michel, au fond d’une petite chapelle, éclairée par les lueurs rouges d’un vitrail, sur un autel orné de broderies et de vases pleins de fleurs en papier, se dressait une statue de la Vierge. Elle avait les chairs roses, un manteau bleu constellé d’argent, une robe lilas dont les plis retombaient chastement sur des sandales dorées. Dans ses bras, elle portait un enfant rose et nu, à la tête nimbée d’or, et ses yeux reposaient, extasiés, sur l’enfant. Pendant plusieurs mois, cette Vierge de plâtre fut ma seule amie, et tout le temps que je pouvais dérober à mes leçons, je le passais en contemplation devant cette image, aux couleurs si tendres. Elle me paraissait si belle, et si bonne, et si douce, qu’aucune créature humaine n’eût pu rivaliser de beauté, de bonté et de douceur avec ce morceau de matière inerte et peinte qui me parlait un langage inconnu et délicieux, et d’où m’arrivait comme une odeur grisante d’encens et de myrrhe. Près d’elle, j’étais vraiment