Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/73

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rasiez le cœur des futaies, cela me semble un peu…

Mais le général l’interrompit.

— Hein ? quoi ? cela vous semble ?… qu’est-ce que vous fichez ici, vous ?… Je fais ce qui me plaît… Est-ce vous qui commandez ou moi ?

— Mais enfin… balbutia le forestier.

— Il n’y a pas de mais enfin, Monsieur… Et vous m’embêtez, c’est clair ça !… Et vous savez, rentrez vite à Senonches ou je vous fais fourrer au bloc… Hardi les enfants !

Le général tourna le dos au fonctionnaire ahuri, et partit, en chassant devant lui, du bout de sa canne, des feuilles mortes et des brindilles de bois.

De leur côté, pendant que nous profanions la forêt, les chasseurs ne chômaient point, et la barricade s’élevait, formidable et haute, coupant la route, en avant du carrefour. Cela ne s’était pas exécuté sans difficulté, et surtout sans gaîté. Subitement arrêtés par une tranchée qui leur barrait la fuite, les paysans protestèrent. Leurs voitures et leurs troupeaux s’agglomérant dans le chemin, très encaissé à cet endroit, il y eut d’abord un indescriptible brouhaha. Ils se lamentaient, les femmes gémissaient, les bœufs meuglaient, les soldats riaient de toutes les mines effarées des hommes et des bêtes, et le capitaine qui commandait le détachement ne savait quelle résolution prendre. Plusieurs fois, les soldats firent semblant de refouler les paysans à coups de baïonnette, mais ceux-ci s’entêtaient, voulaient passer, invoquaient leur qualité de