Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/72

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été réquisitionnées d’urgence : on faisait outil de n’importe quoi. Durant la journée entière, les coups retentirent et les arbres tombèrent. Pour nous exciter davantage, le général voulut assister au massacre.

— Ah bougre ! criait-il à tout propos, en frappant dans ses mains ; ah ! ah ! hardi les enfants !… secouez-moi ça !

Il désignait lui-même, parmi les arbres, les plus hauts de tronc, ceux qui avaient poussé droits et lisses comme des colonnes de temple. C’était une folie de destruction criminelle et bête, une joie de brute, chaque fois que les arbres s’abattaient les uns sur les autres dans un grand fracas. La futaie s’éclaircissait : on eût dit qu’elle avait été fauchée par une gigantesque et surnaturelle faux. Deux hommes furent tués par la chute d’un chêne.

— Hardi les enfants !

Et les quelques arbres restés debout, farouches au milieu des troncs écrasés, couchés à terre, et des branches tordues qui se dressaient vers eux pareilles à des bras suppliants, montraient de larges blessures, des entailles profondes et rouges, par où la sève pleurait.

Le conservateur des forêts, prévenu par un garde, accourut de Senonches et, d’un œil navré, constata cette inutile dévastation. J’étais près du général, quand il l’aborda respectueusement, le képi à la main.

— Pardon, mon général, dit-il… que vous abattiez des arbres sur les bordures des routes, que vous barricadiez les lignes, je le comprends… Mais que vous