Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/96

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ses yeux clairs, d’un bleu rose, ses yeux très grands qui l’illuminaient toute, me parurent d’une douceur infinie… Elle était mise fort élégamment, sans recherches prétentieuses. Un peu trop parfumée pourtant… Il y eut un moment de silence.

L’atelier du peintre Lirat, situé dans une cité tranquille du faubourg Saint-Honoré, la cité Rodrigues, était une vaste pièce nue, aux murs gris, aux charpentes visibles, sans meubles. Lirat l’appelait familièrement « son hangar ». Un hangar, en effet, où la bise soufflait, où la pluie tombait du toit par de petites crevasses. Deux longues tables, en bois blanc, supportaient des boîtes de pastel, des cahiers, des blocs, des manches d’éventails, des albums japonais, des moulages, un fouillis d’objets inutiles et bizarres. Près d’une armoire-bibliothèque, tapissée de vieux journaux, dans un coin, beaucoup de cartons, de toiles, d’études qui montraient le châssis. Un divan fort délabré, rendant des sons de piano désaccordé, dès qu’on faisait mine de s’y asseoir ; deux fauteuils bancroches, une glace sans cadre, constituaient le seul luxe de l’atelier, qu’un jour très vibrant éclairait. L’hiver, quand il avait modèle, Lirat allumait son petit poêle de fonte, dont le tuyau coupé d’angles brusques, maintenu par des fils de fer et couvert de rouille, zigzaguait au milieu de la pièce, avant de se perdre, par un trou trop large, dans le toit. Hormis ces jours-là, même par les plus grands froids, il remplaçait le feu du poêle par une vieille pelisse d’astrakan, usée, pelée,