Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/97

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galeuse, qu’il endossait, chaque fois, avec une ostentation manifeste. Lirat avait la vanité — une vanité enfantine — de cet atelier pauvre, et il se parait de sa nudité, comme les autres peintres de leurs peluches brodées et de leurs tapisseries invariablement historiques. Même, il l’eût désiré plus misérable encore, il en voulait au plancher de n’être pas en terre battue. « C’est à mon atelier que je reconnais les vrais amis, disait-il souvent ; ceux-ci reviennent, les autres ne reviennent pas. C’est très commode. » Il en revenait fort peu.

La jeune femme était joliment assise sur sa chaise, le buste à peine incliné en avant, les mains enfouies dans son manchon ; de temps en temps, elle en retirait un mouchoir brodé qu’elle portait, d’un geste lent, à sa bouche que je ne voyais pas, à cause de la bordure plus épaisse de la voilette qui la cachait, mais que je devinais très belle, très rouge, d’une courbe exquise. De toute sa personne, élégante et fine, d’où, malgré le sourire qui la rendait si séduisante, se dégageait un grand air de décence et même de hauteur, je ne distinguais bien que ces admirables yeux, qui se posaient sur les objets, comme des rayons d’astre, et je suivais ce regard qui allait du plancher aux charpentes, si vibrant de clartés et de caresses. Le silence continuait, inquiétant. Je pensai que moi seul étais la cause de cette gêne et je me disposais à prendre congé, quand Lirat s’écria :

— Ah ! pardon !… J’avais oublié… Chère madame,