Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/11

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fluxion à la joue, trois côtes meurtries et six dents cassées…

C’est tout ce que je rapportai de cette désastreuse aventure, où m’avait si malencontreusement conduit la protection d’un ministre qui se disait mon ami.

J’étais outré.

J’avais d’autant plus le droit d’être outré que, tout d’un coup, au plus fort de la bataille, le gouvernement m’abandonnait, me laissait sans soutien, avec ma seule betterave comme amulette, pour s’entendre et pour traiter avec mon adversaire.

Le préfet, d’abord très humble, n’avait pas tardé à devenir très insolent ; puis il me refusait les renseignements utiles à mon élection ; enfin, il me fermait, ou à peu près, sa porte. Le ministre lui-même ne répondait plus à mes lettres, ne m’accordait rien de ce que je lui demandais, et les journaux dévoués dirigeaient contre moi de sourdes attaques, de pénibles allusions, sous des proses polies et fleuries. On n’allait pas jusqu’à me combattre officiellement, mais il était clair, pour tout le monde, qu’on me lâchait… Ah ! je crois bien que jamais tant de fiel n’entra dans l’âme d’un homme !