Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/131

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— Je ne sais… Il y a tant de mystères ici… tant de choses qu’on ne comprend pas… Toutes les deux, nous allions souvent, le soir, sur le fleuve… Il faut vous dire qu’il y avait alors dans un bateau de fleurs… une bayadère de Bénarès… une affolante créature, chéri, à qui des prêtres avaient enseigné certains rites maudits des anciens cultes brahmaniques… C’est peut-être cela… ou autre chose… Une nuit que nous revenions du fleuve, Annie se plaignit de très vives douleurs à la tête et aux reins. Le lendemain, son corps était tout couvert de petites taches pourprées… Sa peau, plus rose et d’une plus fine pulpe que la fleur de l’althœa, se durcit, s’épaissit, s’enfla, devint d’un gris cendreux… de grosses tumeurs, de monstrueux tubercules la soulevèrent. C’était quelque chose d’épouvantable. Et le mal qui, d’abord, s’était attaqué aux jambes, gagna les cuisses, le ventre, les seins, le visage… Oh ! son visage, son visage !… Figurez-vous une poche énorme, une outre ignoble, toute grise, striée de sang brun… et qui pendait et qui se balançait au moindre mouvement de la malade… De ses yeux — ses yeux, cher amour ! — on ne voyait plus qu’une mince