Aller au contenu

Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/140

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seul contact, sur ma peau, me faisait instantanément oublier fièvres, fatigues et douleurs… et je sentais aussitôt circuler, galoper en mes veines d’héroïques ardeurs et des forces nouvelles…

— Ah ! comme nous allons nous amuser, chère petite âme… Quand je vais aux forçats… ça me donne le vertige… et j’ai, dans tout le corps, des secousses pareilles à de l’amour… il me semble, vois-tu… il me semble que je descends au fond de ma chair… tout au fond des ténèbres de ma chair… Ta bouche… donne-moi ta bouche… ta bouche… ta bouche… ta bouche !…

Et leste, preste, impudique et joyeuse, suivie du chien rouge qui bondissait, elle alla se remettre aux mains des femmes, chargées de l’habiller…

Je n’étais plus très triste, je n’étais plus très las… Le baiser de Clara, dont j’avais, sur les lèvres, le goût — comme un magique goût d’opium —, insensibilisait mes souffrances, ralentissait les pulsations de ma fièvre, éloignait jusqu’à l’invisible l’image monstrueuse d’Annie morte… Et je regardai le jardin d’un regard apaisé…