Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

regards de terreur et de faim… Puis, un même cri de douleur sortit des dix bouches tordues… Et conscients de leur impuissance, les condamnés ne bougèrent plus. Ils restèrent la tête légèrement inclinée et comme prête à rouler sur la déclivité du carcan, les traits de leur face décharnée et blême convulsés dans une grimace rigide, dans une sorte d’immobile ricanement.

— Ils ne peuvent pas manger, expliqua Clara… Ils ne peuvent pas atteindre la viande… Dame !… avec ces machines-là, ça se comprend… Au fond, ça n’est pas très neuf… C’est le supplice de Tantale, décuplé par l’horreur de l’imagination chinoise… Hein ?… crois-tu, tout de même, qu’il y a des gens malheureux ?…

Elle lança encore, à travers les barreaux, un menu morceau de charogne qui, tombant sur le coin d’un des carcans, lui imprima un léger mouvement d’oscillation… De sourds grognements répondirent à ce geste : une haine plus féroce et plus désespérée s’alluma, en même temps, dans les vingt prunelles… Instinctivement, Clara recula :

— Tu vois… poursuivit-elle sur un ton moins assuré… ça les amuse que je leur