Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/177

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donne de la viande… ça leur fait passer un petit moment à ces pauvres diables… ça leur procure un peu d’illusion… Avançons… avançons !

Nous passâmes lentement devant les dix cages. Des femmes arrêtées poussaient des cris ou riaient aux éclats, ou bien se livraient à des mimiques passionnées. Je vis une Russe, très blonde, au regard blanc et froid, tendre aux suppliciés, du bout de son ombrelle, un ignoble débris verdâtre qu’elle avançait et retirait tour à tour. Et rétractant leurs lèvres, découvrant leurs crocs comme des chiens furieux, avec des expressions d’affamement qui n’avaient plus rien d’humain, ils essayaient de happer la nourriture qui, toujours, fuyait de leurs bouches, gluantes de bave. Des curieuses suivaient toutes les péripéties de ce jeu cruel, d’un air attentif et réjoui.

— Quelles grues ! fit Clara, sérieusement indignée… Vraiment, il y a des femmes qui ne respectent rien. C’est honteux !…

Je demandai :

— Quels crimes ces êtres ont-ils donc commis, pour de telles tortures ?

Elle répondit, distraitement :