Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’espalier. Dans l’intervalle de ces murs, des pivoines immémoriales, en boule sur de hautes tiges nues, s’espaçaient, dans des caisses carrées. Et le sommet se couronnait de touffes épaisses, de libres buissons de la plante sacrée dont la floraison, si éphémère en Europe, se succède ici durant toutes les saisons. Et, à ma droite, à ma gauche, toutes proches de moi, ou bien perdues dans les perspectives lointaines, c’étaient encore, c’étaient toujours des pivoines, des pivoines, des pivoines…


Clara s’était remise à marcher très vite, presque insensible à cette beauté ; elle marchait, le front barré d’une ombre dure, les prunelles ardentes… On eût dit qu’elle allait, emportée par une force de destruction… Elle parlait, et je ne l’entendais pas, ou si peu ! Les mots de « mort, de charme, de torture, d’amour » qui, sans cesse, tombaient de ses lèvres, ne me semblaient plus qu’un écho lointain, une toute petite voix de cloche à peine perceptible là-bas, là-bas, et fondue dans la gloire, dans le triomphe, dans la volupté sereine et grandiose de cette éblouissante vie.