Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/231

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vie, travaillé avec désintéressement à la gloire de notre grand Empire… J’ai toujours été — et de beaucoup — le premier, dans les concours de tortures… J’ai inventé — croyez-moi — des choses véritablement sublimes, d’admirables supplices qui, dans un autre temps et sous une autre dynastie, m’eussent valu la fortune et l’immortalité… Eh bien, c’est à peine si l’on fait attention à moi… Je ne suis pas compris… Disons le mot : on me méprise… Que voulez-vous ?… Aujourd’hui le génie ne compte pour rien… personne n’y accorde plus le moindre mérite… C’est décourageant, je vous assure !… Pauvre Chine, jadis si artiste, si grandement illustre !… Ah ! je crains bien qu’elle ne soit mûre pour la conquête !…

D’un geste pessimiste et navré, il prit Clara à témoin de cette décadence, et ses grimaces furent quelque chose d’intraduisible…

— Enfin, voyons, milady !… Est-ce pas à pleurer ?… C’est moi qui avais inventé le supplice du rat. Que les génies me rongent le foie et me tordent les testicules, si ce n’est pas moi !… Ah ! milady, un supplice extraordinaire, je vous jure… Originalité, pittoresque, psychologie, science de la douleur,