Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/262

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nos pieds enfonçaient dans la terre détrempée, comme s’il avait plu du sang !…

— Ce n’est rien encore… répétait Clara… Avançons !…

Et voici que, pour compléter le drame, des faces humaines apparurent… des équipes d’ouvriers qui, d’un pas nonchalant, venaient nettoyer et réparer les instruments de torture, car l’heure était passée des exécutions dans le jardin… Ils nous regardèrent, étonnés sans doute de rencontrer en cette minute, et à cette place, deux êtres encore debout, deux êtres encore vivants et qui avaient toujours leur tête, leurs jambes, leurs bras… Plus loin, accroupi sur la terre, dans la posture d’un magot de potiche, nous vîmes un potier ventru et débonnaire qui vernissait des pots de fleurs, fraîchement cuits ; près de lui, un vannier, d’un doigt indolent et précis, tressait des joncs souples et des pailles de riz, ingénieux abris pour les plantes. Sur une meule, un jardinier aiguisait son greffoir, en chantonnant des airs populaires, tandis que, mâchant des feuilles de bétel, et dodelinant de la tête, une vieille femme récurait placidement une sorte de gueule de fer, dont les dents aiguës gar-