Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/267

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Et pendant qu’elle chantait, pendant que sa voix allait s’égrenant parmi les horreurs du jardin, un nuage se montra, très haut, très loin… Dans l’immensité du ciel, il était comme une toute petite barque rose, une toute petite barque, avec des voiles de soie qui grandissaient à mesure qu’elle avançait, dans un glissement doux.

Et quand elle eut fini de chanter :

— Oh ! le petit nuage ! s’écria Clara, redevenue toute joyeuse… Regarde comme il est joli, tout rose, sur l’azur !… Tu ne le connais pas ?… Tu ne l’as jamais vu ?… Mais c’est un petit nuage mystérieux… et peut-être même que ce n’est pas un petit nuage du tout… Chaque jour, à la même heure, il apparaît, venant on ne sait d’où… Et il est toujours seul, toujours rose… Il glisse, glisse, glisse… Puis il se fait moins dense, il s’effiloche, s’éparpille, se dissipe, se fond dans le firmament… Il est parti !… Et, pas plus que d’où il est venu, personne ne sait où il s’en est allé !… Il y a ici des astronomes très savants qui croient que c’est un génie… Moi, je crois que c’est une âme qui voyage… une pauvre petite âme égarée comme la mienne…