Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/266

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faillir, son visage avait déjà retrouvé ses couleurs rosées, ses jarrets leur mouvement souple et nerveux… Alors, elle chanta d’une voix raffermie :


Ses vêtements sont des jardins d’été
Et des temples, un jour de fête,
Ses seins durs et rebondis
Luisent comme une couple de vases d’or
Remplis de liqueurs enivrantes
Et de grisants parfums…
J’ai trois amies…


Après un moment de silence, elle se remit à chanter d’une voix plus forte, qui couvrait le bourdonnement des insectes :


Les cheveux de la troisième sont nattés,
Et roulés sur sa tête.
Et jamais ils n’ont connu la douceur des huiles parfumées.
Sa face qui exprime la luxure est difforme
Et son corps est pareil à celui d’un porc…
Toujours elle gronde et grogne…
Ses seins et son ventre exhalent l’odeur de poisson,
Et son lit est plus répugnant que le nid de la huppe.
C’est celle-là que j’aime.

Et celle-là, je l’aime parce qu’il est quelque chose de plus mystérieusement attirant que la beauté : la divine pourriture.

La pourriture en qui réside la chaleur éternelle de vie,
En qui s’élabora l’éternel renouvellement des métamorphoses !…
J’ai trois amies.